Pierre TICHADOU

Pierre TICHADOU

LES CHEMINS NOUEUX

  •  "Les chemins noueux" est un recueil de nouvelles brèves et de poèmes, un témoignage d'instants furtifs, d'ambiances souvent nostalgiques, juste avant que la mer et le vent n'en effacent la trace.

 

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En voici un extrait,

 

 

"les paysannes agenouillées"

 

 

On entend gronder et enfler la rivière de l'autre côté du vieux pont. Près du barrage en construction, les ouvriers chantent. D'un chant puissant et plaintif à la fois. Ils ont faim. Ils ont soif.

Des paysannes agenouillées au lavoir, pêcherie moderne, pêcherie dallée, battent en cadence le linge de la semaine. Elles sont apprêtées là comme pour le fouet, comme pour la vendange, comme pour l'amour à la sauvette, ployées et laborieuses tandis qu'aux fourneaux du chantier, les maris, les amants, les demi-sel et les demi-dieux, se rosissent les tronches aux fumées ocres, aux éclaboussures de cyanure, aux poussières de bronze et s'envoient au fond des panses et des gosiers le camembert au picrate, nectar et ambroisie des hommes humbles, des hommes labour.

Elles parlent peu, nos lavandières. Leur panier sous le bras, elles remontent le sentier, enrubannées de  doutes, épinglées au temps qui file trop vite. Ce linge à étendre, les marmots ou le pépé à torcher, la marmite à faire bouillir, pour que l'Homme, héros déchu par l'assidu besogneux, le ventre rond et la bourse plate, au retour victorieux du turbin, s'installe enfin, en maître, en seigneur, en oiseau-lyre, dans ses pantoufles, devant son potage, face à ses images.

Morbleu ! Quelles femelles ! Accorder encore un frisson, le ventre accolé à la ventrèche huileuse, puante et suante, du hussard qui se venge, à grands coups de spasmes, de la machine, du chef, du barrage, du chien du voisin qui hurle à la mort , et de la chienne de vie.

Maman ! Que mon homme va vite ! Et le voici soulagé qui roule sur le coté, qui s'endort et ronfle déjà. Et la voilà, avec sa petite envie qui commençait à monter et qui reste là, coincée en travers de ses chairs, foudroyée en plein envol par l'envoi précoce.

Ventrebleu !  Quelles saintes !

 



01/07/2006
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