LE TEXTE ET LA COULEUR (1992-1999)
EXODE 13/01/98
Ils ont ôté leurs souliers et marchent pieds nus
Ils viennent de nulle part, ils ne savent plus,
Insensibles au sable brûlant, nonchalants,
S'ils sont nés des flammes, de la mer ou du sang.
Où vont-ils, peut-être ne l'ont-ils jamais su
Se soumettre sans doute aux ombres têtues,
Aux ténèbres, au mercure, au gel, à la nuit
On les entend pourtant, ils chantent et ils rient.
Pose tes doigts dans leurs empreintes d'innocents
La mémoire est cristal, demain insignifiant
Un jour tes pas pourront épouser leurs traces
Que le vent du désert une à une efface.
ETERNITE 31/01/98
Nous avions traversé la rivière à gué
Sautant de pierre en pierre au gré du courant
Nous étions neuf, souverains et mécréants,
Nous arrivions là où nos pas nous menaient.
Il la vit le premier et nous dit d'arrêter
Le visage blême, apeurés et ravis,
Nous regardions ainsi l'horizon interdit
Cette étendue sombre qu'on nomme éternité.
Il a dit de repartir sans se retourner
L'intime jubilation nous tient maintenant
Nous courbons la tête mais le chant est puissant,
Jonas a pris sa flûte et s'est mis à jouer.
LES LENTEURS SECULAIRES 26/07/98
Dans l'ombre de ces vieux arbres tordus, arthritiques et bossus qui poussent obstinément dans la pierraille ingrate, s'inscrivent en filigrane les lenteurs séculaires, les souffrances sans mot dire, le sens de la parcimonie, l'attente inexorable, la fidélité des humbles et la fraîcheur des hypothétiques résurgences de source.
SLEA HEAD 10/01/98
Le sel a ses secrets
De vent et de marée
De corne et de brume
Assoiffés d'écume.
La vague a ses relents
D'épice et de safran
D'esclaves endormis
De caresse et de cris.
LES PERLES D'OR 08/01/98
Enlève ce masque,
C'est l'heureux instant où s'effiloche le temps
Où l'on apprend le ressac, l'étrave et l'écho
Et la nuit doucement descend sur le vieux port.
Rends ton chapeau claque,
Tu peux enfin croquer la mer à pleines dents,
Fil incertain tendu entre la terre et l'eau
Tu vois monter du chenal bleu des perles d'or.
LE PUY 11/12/97
Nous étions vingt-trois ou douze ou treize
Sur les chemins de sable et de glaise
Nos pas aux pas cloutés des pèlerins
Vers Compostelle, l'apôtre et le saint
Nous marchions...
C'était la demi-lune de juillet
Au loin l'angélus, et le soir tombait
Soudain, barbaresque et florentine
Sublime, romane et byzantine
Nous te vîmes...
LAGUNE 30/12/97
Je pense à la femme voilée
Aux hommes bleus, à l'Alhambra
Mais retourne le sablier
Et c'est l'eau qui s'écoulera.
LA REINE ET LE FOU 07/12/97
Chacun s'en retourne et se souvient
Comme un livre qui t'a glissé des mains
Une eau glacée coule dans tes veines
Le vent cavale au mât de misaine.
Il y avait des braises et des cailloux
La vague secrète, et la reine et le fou
Le crépuscule et la lave en fusion
Le blanc, le noir et le roi et le pion.
VENISE 14/12/97
A la nuit tombée, il lui donnait rendez-vous derrière la Fénice. A deux pas des lumières et de l'effervescence du Grand Canal, de la Salute et de San Marco, ils retrouvaient la Venise cachée et miraculeusement offerte aux vrais amants de la ville.
Ils s'enfonçaient dans le dédale des rues étroites, discrètes et secrètes. Ils rentraient dans un bar à vin et commandaient le plat du jour...
Ils rentraient, nyctalopes éphémères, vers deux ou trois heures du matin, après le dîner. La lune illuminait la cité silencieuse.
Le plus doux restait à inventer.
LE SOUFRE ET LE SEL 25/10/97
En a-t-il fait des naufrages
Ce corps couvert de tatouages
Le sang, la sueur, le soufre et le sel
Cet amour qui ruisselle en elle.
Et le sable souille le sang
Et la sueur rouille le vent
Le sang, la sueur, le soufre et le sel
Les guerriers ne sont plus immortels.
DOLMEN 14/10/97
Blocs erratiques
Myriades de pierres
Coulées chaotiques
Rugueuses et austères
Erodées et volcaniques
Des puys et des dômes,
Déserts basaltiques
Aux jasseries de chaume
Hauts plateaux granitiques,
Dolmen, trace de l'homme.
LA VILLE 13/09/97
Entre les silences et les bruits de la ville,
Je refais pas à pas le chemin
Pour retrouver cette fleur d'eau
Qui savait désaltérer ma peau.
LIBERTE 06/07/96
La goélette cinglait vers des pays d'albâtre et de corail.
Des siècles d'entrave pour un jour enfin se retrouver un homme Et en savourer le prix.
L'HOMME EST MYSTERE 01/06/96
L'homme ne risque rien
L'homme est fou
L'homme est fier
L'homme est feu
L'homme est chiendent
Liseron
Lumière
L'homme est mystère.
J'AI ENFOUI 04/03/96
J'ai enfoui le laurier et l'onde
Et la brise obscure
Et la lande
Et le baiser rouge des statues
Et la vie sans fin
Et la mer hostile
Et l'ultime seconde
Et le printemps
Et cette indescriptible chose
Que j'aurais pu nommer
Si je l'avais voulu
Si tu n'étais venue.
ORADOUR SUR GLANE 19/02/96
Les hommes en arme sont entrés dans le village. Un chat s'est mis à détaler devant eux. L'officier a fait feu et la bête, immobilisée net, a soubresauté deux fois. Ils ont martelé la rue déserte. Ils ont rigolé en voyant l'église close. Ils ont ouvert les battants. Entre les bancs, des femmes agenouillées serraient contre elles des enfants.
La mitraillette s'est enrayée. Ils ont poussé un juron dans un dialecte inconnu. Avec le lance-flammes, cela a pris beaucoup moins de temps. Là haut, le Christ est resté encloué et, par les vitraux, la même lumière douce a attendri la nef. Il a béni les hommes valeureux et dignes qui avaient pris le matin même le maquis.
TRANSMUTATION 25/10/97
Chaos de sang, d'eau et de feu
Transmutation de lumière
Fugitive et éternelle
Et qui nous brûle jusqu'au cri
Nous n'aurons cesse ni répit
Qu'en la quête spirituelle
Pour retrouver cette pierre
Qu'il nous faudra rouler à deux.
L'IVRESSE DU DERNIER SOIR 13/02/98
Et par la porte dérobée
Regarder l'envers du miroir
L'ombre fauve du rocher
Dans l'ivresse du dernier soir.
LA VILLE SOMMEILLE 02/03/98
La ville sommeille
Un scarabée borné
Au soir venu veille
Sur son ombre dorée.
LA VILLE ENDORMIE 03/03/98
Dès que la ville est endormie
Et que rien, plus rien ne bouge
Un engin file dans la nuit
C'est un cheval-vapeur rouge.
LES CHEMINS DE COMPOSTELLE 20/04/98
Vers Compostelle, cheminent les pèlerins
Sentes de terre, sable, glaise et romarin.
LES TERRES ROUGES 13/06/98
Au fur et à mesure que l'on mesure le temps,
Le temps des craquelures et l'impatience des ans,
L'odeur des terres rouges perquisitionne la nuit
Comme une eau à la bouche, un amour, une insomnie.
ARCHIPEL 22/07/98
Les pirogues rentrent au port dans un ciel d'encre.
Au loin, près du Cap Vert, un navire est arraisonné.
UN PORT ALIZARINE 24/07/98
Un port alizarine est comme un alizé
Il sent la mandarine et les embruns mêlés,
Les effluves poivrées et le fruit défendu
La moiteur des soutes et les parfums cossus.